Le mot « routine », dans notre civilisation, est connoté assez négativement. Synonyme d’ennui, ce serait un danger à éviter si l’on souhaite, en tant qu’individu, continuer à se développer et s’épanouir. La routine est vue comme une répétition empêchant la nouveauté de venir nous stimuler et nous mettre à l’épreuve – nous « challenger ».
Pourtant, répéter le même geste routinier n’est pas forcément s’asseoir dans le confort de ce que l’on maitrise et connaît parfaitement, de même que pour un comédien redire chaque soir le même texte n’est pas forcément le répéter à l’identique. Le geste, comme le texte, se jouent et se rejouent à chaque fois à nouveau. Bien sûr, on peut toujours améliorer le geste, et se mettre en quête d’une forme de perfection. Mais surtout, à force d’être répété, le geste peut être épuré, c’est-à-dire débarrassé de tout ce qu’on y avait mis dès le départ en trop : trop d’intention, trop de volonté de réussir, et finalement trop de nous-mêmes…
Le plus dur, peut-être, serait ainsi de laisser le geste s’exécuter en quelque sorte de lui-même, comme si l’on n’était qu’un intermédiaire. Se laisser traverser par le geste, ou pour le comédien par le texte : le laisser être sans y rajouter tout ce qui vient d’ordinaire le brouiller inutilement, et l’empêcher de résonner. Avec un peu d’attention, la routine peut être vue comme une occasion sans cesse renouvelée de faire de la place à ce qui se passe et passe à travers nous. L’occasion, pour la petite musique du monde, de se frayer un chemin et de se faire entendre. Comme un silence dans une ritournelle.