Newsletter n°14 – mai 2022

La cueillir quel dommage !

la laisser quel dommage !

Ah ! Cette violette

                  Naojo (pseudonyme japonais de l’auteur français Roger Munier)

     Le chef Thibaut Spiwack, candidat dans l’émission de cuisine Top Chef, a déclaré lors de l’une de ces émissions : « Tout le monde a une histoire à raconter… mais on n’est pas obligé de raconter la sienne ». C’est en effet presque devenu une banalité, en cuisine, de dire que l’on « raconte une histoire » à travers un plat. Chacun y va alors de son souvenir d’enfance, de la purée de sa grand-mère, d’une émotion ressentie lors d’un voyage, etc. Cela permet à celui qui confectionne le plat de trouver l’inspiration, de créer un plat qui aura une unité, une cohérence, tout en partageant, à travers ce plat, un sentiment. Mais d’un autre côté, n’avez-vous jamais éprouvé un certain ennui quand un proche ou un ami vous raconte ses vacances, ou son dernier voyage?… Il est enthousiaste, essaye de nous faire revivre ce qu’il a vécu, mais rien n’y fait, on reste à côté, bien qu’on soit content pour lui. Donc quitte à raconter une histoire, pourquoi ne pas raconter celle d’un voyage que l’on n’a pas fait?… ou pas encore?

     Depuis que je fabrique des objets en bois, je suis attiré par une certaine esthétique japonaise. Les assemblages sans clou, le respect du bois, le goût pour les matériaux bruts, la délicatesse, la simplicité et la sobriété des lignes… plus qu’une source d’inspiration, j’ai l’impression de me retrouver dans cet état d’esprit, ou plutôt, de puiser à la même source que les artisans japonais. Régulièrement avant déjà, j’avais pu sentir cette proximité et cette attirance, à travers le cinéma, la gastronomie, la poésie… m’étant même lancé dans un recueil de Haïkus ! Grâce, également, à celui que j’appelle mon « père adoptif », qui a vécu de longues années au Japon, et chez qui j’allais souvent déjeuner le dimanche, étudiant. Mais je ne suis jamais allé au Japon. Du moins, pas encore. J’ai commencé à apprendre la langue, mais je n’en suis qu’au tout début…

     Peut-être, alors, puis-je raconter ce voyage que je n’ai pas fait. Cette histoire qui n’est pas la mienne. Histoire en grande partie rêvée, pour ne pas dire fantasmée. Histoire remplie de clichés, qui vont sans doute être démentis un à un plus j’en apprendrai. Mais histoire quand même. Histoire d’une étrangeté, d’une altérité dans laquelle se reconnaître : on peut se sentir japonais, sans être japonais. Il existe même, en Martinique, des personnes à la peau blanche qui se disent noires, le plus sérieusement du monde, sincèrement. Mais qu’importe que l’histoire soit vraie ou pas, du moment qu’elle nous fait vivre?