Newsletter n°39 – juin 2024

Petit à petit

La ronde

S’agrandit.

     Ramasser un bout de bois pour en faire une cuillère à l’aide d’un couteau, c’est un art du peu, comme ces petits objets de pacotille que fabriquent parfois devant vous   des vendeurs de rue : bonhommes en fil de fer, jouets en canettes d’aluminium… en ce qui me concerne, cette pauvreté du matériau et de la technique me va très bien, j’y trouve un cadre en même temps qu’un horizon. Vous prenez le bout de bois, et pas à pas, lui enlevez une petite quantité de matière : dans cette activité presque méditative, il vous apparaît bientôt de manière évidente que la finalité n’est plus l’objet à produire, mais l’activité elle-même. On sculpte pour sculpter, on taille pour tailler. Quand la cuillère est terminée, on la met de côté, on prend un autre bout de bois et on continue.

     Dès lors, la question de la « valeur » de l’objet n’a que peu de sens. Quel prix mettre sur cette activité qui se suffit à elle-même ? Ce qui a de la valeur, c’est l’activité elle-même et non l’objet : l’objet qui en résulte n’en est que le résidu ou la trace. Or, en tant que résidu, il ne m’appartient déjà plus, mais à qui le veut ou le voudra, comme on ramasse un joli bout de bois tombé dans la forêt. On peut dire que la question de sa valeur ne me regarde pas, mais uniquement celui ou celle qui le désire.

     Peut-on vendre, dans ce cas, ce qui ne nous appartient déjà plus? Peut-on même le donner? Si je pense à l’artisanat monastique cette fois, il m’apparaît que l’argent que l’on donne sert d’abord à soutenir l’activité de la communauté, comme une sorte de don. L’objet « acheté » quant à lui peut être alors perçu comme le témoignage de ce don, une forme de lien qui relie à la communauté des moines. Or le don dépend de celui qui donne, et de la valeur qu’il accorde à ce qu’il donne, en fonction de ses moyens, et de son activité à lui. C’est pourquoi désormais, toutes mes cuillères sont en « prix libres », manière de dire : en achetant cet objet, vous donnez ce que vous voulez, pour soutenir un certain type d’activité. C’est elle qui a de la valeur. Choisissez l’objet que vous voulez, sa valeur n’est pas celle de l’argent, mais celle d’un témoignage : témoignage du don, témoignage de l’arbre, témoignage de l’activité qui l’a transformé. Toutes ces choses sont reliées. Ce n’est pas une cuillère, c’est un témoin.