Forger une lame de couteau à partir d’une barre de métal demande un engagement physique que j’avais sous-estimé, jusqu’à m’y mettre. Le marteau pèse un bon kilo, et il faut se dépêcher, c’est-à-dire battre le fer tant qu’il est chaud. Or il refroidit très vite. On le remet à chauffer, et on recommence. Tant que l’on travaille à la main, on ne peut pas faire semblant, ni s’économiser. Il faut y aller. C’est vrai pour la forge. Mais plus généralement pour toute opération de fabrication, qui demande un degré d’engagement en-dessous duquel, tout simplement, rien ne se passera.
En grec ancien, « création, fabrication » se dit poïesis, mot qui a donné « poésie » en français : car on fabrique un poème comme on forge une pièce de métal. On martèle, modèle, étire la matière sonore des mots, comme la barre d’acier qui prend forme progressivement sous les coups de marteaux. Il y a une poésie du métal, comme il y a une poésie du bois, une poésie du vent, de l’amour, des saisons. Il y a une poésie de tout ce qui est, c’est-à-dire une manière de fabriquer quelque chose avec ce que l’on a sous la main. Quelque chose qui touchera notre sensibilité humaine à l’égard du monde. Comment devient-on poète ? Tout ce que je sais, c’est que c’est en forgeant que l’on devient forgeron.