Newsletter n° 41 – août 2024

J’ai manqué mon coup

La tête du clou

Est toute tordue.

 

Nakatsuka Ippekkiro

     Peut-on être adulte et se construire une cabane? Personnellement, je crois que cette passion des cabanes ne m’a jamais quitté depuis l’enfance. La cabane, imaginairement, c’est le refuge, l’endroit à soi, un lieu où l’on peut se retirer et rêver librement, tout en regardant le monde par la fenêtre – ou par la porte s’il n’y en a pas. Mais la cabane, c’est surtout l’abri que l’on construit de ses mains, petites ou grandes, avec ce qui nous tombe sous la main. L’essence de la cabane, c’est d’être bricolée. Bien sûr il nous faut des vis ou des clous, et quelques planches… mais s’il manque quelque chose, on va essayer de faire avec ce que l’on a. De se débrouiller. Prendre des petits bouts de trucs et les assembler ensemble. C’est alors que, fouillant dans un tas de choses gardées « au cas où », vous remettez la main exactement sur la pièce qu’il vous faut, ou qui pourra parfaitement faire office de. D’un coup, c’est comme si tout prenait son sens : à croire que, sans le savoir, on avait gardé ce vieux bout de chambre à air ou ce crochet rouillé pour le jour précis où on en aurait besoin.

     Mais parfois, il arrive que malgré tous nos efforts, on ne remette pas la main sur la petite pièce qui irait si bien, et l’on n’en trouve aucune autre. Que faire alors ? On ne va quand même pas aller au magasin pour ça… on pourrait, certes, acheter tout ce qu’il nous manque. Toute la vie est comme ça, d’ailleurs, quand on y pense : il suffirait d’aller au magasin, acheter tout ce qu’il nous manque. Non. Pas cette fois. On va s’asseoir cinq minutes, regarder autour de nous, et laisser venir les choses… oui. On peut faire autrement. Continuer à bricoler. Et plus la cabane prend forme, plus cela devient évident :  la cabane, le monde, et la main, n’ont en réalité toujours fait qu’un. Tout était toujours déjà là, sous nos yeux. Nous le savions au fond de nous, et l’enfant que nous étions ne l’a pas oublié, lui. Construire une cabane, c’est juste une manière de le redire, et en le redisant, de s’en souvenir : tout est toujours déjà là.

Newsletter n° 40 – juillet 2024

De la narine du grand Bouddha

Jaillit

Une hirondelle.

Kobayashi Issa

     L’année dernière, un saule marsault est mort dans le jardin. Comme ça. Sans prévenir. Je ne sais pas ce qui s’est passé. Depuis, je ne l’ai pas coupé pour brûler son bois, ni prélevé de branche pour fabriquer un objet. Je l’ai laissé comme ça et j’ai vu un an après l’écorce qui commençait à se décoller du tronc.

     Aujourd’hui, un oiseau que j’entends depuis des années, mais que je n’étais jamais parvenu à identifier jusqu’alors, s’est posé dessus. Je l’ai reconnu car il fait un bruit de tapotement régulier. J’ai cru d’abord que c’était un oiseau qui prenait des noisettes ou d’autres fruits à coque pour venir les ouvrir contre l’écorce de l’arbre, un « gros bec casse-noyaux » peut-être ?

     Mais aujourd’hui je l’ai vu, c’est un magnifique pic-épeiche, avec du rouge vif sur la tête et sur la queue. Je n’en avais jamais vu d’aussi près. Il écorce l’arbre, et se nourrit d’insectes qui eux-mêmes se nourrissent du bois mort. Pour eux comme pour lui, comme pour les champignons qui ont poussé sur son tronc, ce saule marsault est désormais un formidable réservoir de nourriture et de vie. Il commence à prendre une autre allure pour moi aussi, avec ses belles branches écorcées, ses fissures et ses coups de bec. Je le laisse. Je ne ferai pas de cuillère. Nous ne sommes pas de passage, nous sommes le passage.