On a beau retourner l’univers dans tous les sens, me disais-je, en fait, on n’y comprend rien. Toutes nos théories, nos sciences, nos religions, nos arts, n’expriment après tout peut-être rien d’autre que cela : notre incompréhension du monde, dans lequel nous sommes pourtant tout entiers immergés mais qui continue à nous échapper, quoiqu’on fasse. Dès lors, quelle différence y a-t-il entre le silence et la parole? Entre un silence qui reçoit cette incompréhension, et une parole qui la dit?
J’aimerais, me disais-je, retranscrire dans les objets que je fabrique quelque chose de cela. L’immensité de ce qui nous dépasse, en même temps que la fragilité de tout ce qui s’y tient : le ciel comme le brin d’herbe, le nuage comme la goutte d’eau. Je me remis alors à fabriquer des cuillères, en partant de la forme naturelle de la branche, pour suivre le fil du bois. Je me laissais surprendre par la tournure prise peu à peu sans que je le décide. Retrouvant mes outils à main, et des techniques rudimentaires, il me semblait de moins en moins étrange que des êtres humains comme nous, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, furent poussés à entrer dans des grottes, munis d’une torche et de matériaux simples, pour y tracer des empreintes de mains, des figures d’animaux, et autres signes mystérieux. Tandis que j’accumule les petits copeaux un à un à mes pieds, j’imagine ces visages à la lueur vacillante de la flamme, les mains teintes par le charbon de bois et la poudre d’ocre… je vois leur regard, et, à travers lui, il me semble à mon tour être saisi par l’énigme du monde.