Quand on apprend un geste, il est d’abord difficile, hésitant, imprécis. On est tendu, on corrige, on se rattrape aux branches comme on peut. Puis, à force de pratique et de répétitions, des automatismes se mettent en place, des sortes de réflexes qui font que, sans plus y réfléchir, nos mains font ce qu’il y à faire. On peut leur faire confiance. La maîtrise s’installe.
D’un autre côté, au bout d’un moment, on peut trouver ennuyeux de répéter sans cesse les mêmes gestes, et avoir envie d’en apprendre de nouveaux. Essayer autre chose. L’époque actuelle a d’ailleurs volontiers recours à l’expression « sortir de sa zone de confort » pour valoriser l’élan de celui qui délaisse ce qu’il sait faire au profit de ce qu’il ne sait pas encore faire – « confort » signifiant ici ce qui nous ramollit et ne nous encourage pas à progresser.
Mais progresser vers quoi? Sortir pour aller où ? Quand je ponce le manche d’un couteau, bien que je l’aie déjà fait des dizaines de fois, je ne suis pas obligé de me demander si je progresse ou si je stagne en le faisant. Je peux même le faire en oubliant pourquoi je le fais, et m’installer dans le geste comme si je n’étais pas en train de fabriquer un couteau. Certes, je ponce bien le manche de ce couteau pour fabriquer un couteau agréable au toucher. Comme je fais la vaisselle pour pouvoir manger à nouveau dans des assiettes propres. Mais c’est aussi un prétexte : un prétexte pour simplement faire ce que nous faisons, quelle que soit la finalité du geste.
Peu importe, dans ce cas, que nous fassions ce geste pour la première, la millième ou la dernière fois, car nous ne le faisons ni en vue de l’objectif fixé, ni pour progresser. Nous le faisons car c’est nous qui nous trouvons là, à ce moment-là, dans cette situation. Nous aurions pu être ailleurs, quelqu’un d’autre – ou tout simplement ne pas être. Mais les choses sont ainsi faites que personne d’autre que nous ne peut effectuer ce geste-là, à notre place, à ce moment-là. Avec la grâce qui nous appartient.