Qui est-on si l’on travaille le bois sans avoir fait d’école ou de formation spécifique? Ni menuisier, ni ébéniste. On est « autodidacte » dit la langue française, c’est-à-dire que l’on a appris tout seul. Étonnant comme mot, quand on songe que l’on n’apprend jamais quoi que ce soit « tout seul ». Pour apprendre un geste, on s’appuie sur d’autres gestes que l’on n’a pas appris « tout seul ». Et comment séparer, dans ce que l’on fait, ce qui vient de nous et ce qui vient d’autrui? On n’est jamais autodidacte. On parle avec les autres, on observe ce qui a été fait avant nous, on utilise des outils que l’on n’a pas inventés soi-même. On regarde des « tutos », on consulte des manuels, on parle avec le bois – et on essaye de retenir ses leçons. On dialogue avec soi-même aussi, beaucoup, à la fois maître et élève, à la fois soi et un autre pour soi. On découvre, redécouvre des techniques très anciennes, tout en sachant qu’on n’inventera jamais l’eau chaude. D’autres que nous sont passés par là avant, et ont creusé le sillon dans lequel on inscrit nos pas, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non.
Et inversement : on a beau avoir tous les diplômes ou titres du monde, menuisier, ébéniste, compagnon… on a tout perdu si on n’a pas su garder son esprit de débutant – car sur un chemin infini personne n’est plus avancé que personne. Chacun avance, à sa manière, depuis là où il se trouve, mais personne n’est « arrivé ». Rester ouvert, s’étonner, accepter d’apprendre encore et surtout d’apprendre à apprendre. Autodidacte ou non, on n’en a jamais fini. Le bout de bois sera toujours un bout de bois, et la main qui le travaille, une main.