Chacun sait depuis l’enfance comment deviner l’âge d’un arbre coupé en comptant les cernes du bois. Un objet en bois, à travers son veinage, nous donne une image du temps – et c’est parfois vertigineux, comparé à notre échelle de vie. Dans les dessins d’une planche, on retrouve ces traces qui témoignent du temps qui a passé pour cet arbre. Concrétions de temps qui nous donnent à toucher ce qui nous échappe : le passage du temps. Et pourtant nous savons bien qu’il passe, car nous aussi nous en portons les traces. Le temps passe, et fait pousser les arbres, et fait des plis sur la peau. Nous ne le voyons pas en train de passer, mais nous constatons son passage : déjà. Un an déjà, 10 ans déjà, 20 ans… déjà. Et dans un an, et dans 10, dans 20? Forcément, le temps qui passe nous renvoie à notre finitude, à notre condition d’humain mortel. On dit que les arbres, au contraire, en l’absence de cause extérieure mettant en danger leur existence, peuvent vivre éternellement : le plus vieux recensé à ce jour aurait 9554 ans, et vivrait en Suède. Que ferions-nous de tout ce temps? Que faisons-nous déjà de notre temps?
Depuis peu, j’ai pris goût à la restauration des meubles anciens. C’est plus qu’émouvant de découvrir le travail qui a été fait par des artisans nous ayant précédé, avec du bois de leur temps. Ils nous parlent à travers le bois, nous indiquent quels gestes ils ont effectués, quelles techniques ils ont utilisées, quelles difficultés ils ont rencontrées, quelles solutions ils ont inventées, avec les moyens dont ils disposaient. On découvre ainsi, sous un petit bureau tout usé, des merveilles d’ingéniosité et de pensée. On s’incline. On prend le temps, aussi, délicatement, de démonter les parties à retravailler ; et on utilise, comme eux, de la colle de poisson, qui a le mérite de se décoller quand on la chauffe, rendant ainsi possible une réparation ultérieure par d’autres générations d’artisans. Indirectement, nous aussi nous parlerons avec eux ; nous aussi, à travers bois.