Nous aimons bien remplir. Remplir notre maison, remplir notre agenda, remplir notre vie. Une vie bien remplie. Et plus nous remplissons, moins il y a de vide. Le vide effraie, est désagréable, nous met mal à l’aise. Un blanc dans la conversation. Un moment où nous ne savons plus quoi faire, quoi dire. Où nous n’avons aucune tâche à accomplir, aucun travail à rendre, aucune obligation qui nous réquisitionne. Cela peut vite devenir angoissant…
Mais nous aimons aussi bien vider : faire un grand ménage de printemps, jeter, se débarrasser. Vider son sac. On se sent généralement mieux après. Après avoir fait le vide. Alors, on peut recommencer à remplir, entasser, accumuler, et démarrer un nouveau cycle. Jusqu’à la prochaine fois.
Peut-être qu’en réalité, nous cherchons sans cesse, même en vidant, à continuer à être actifs. Et surtout à être présents. A conjurer la peur d’être absents, la peur de ne plus être de la partie, de ne plus être en mouvement. Mais sommes-nous réellement moins vivants, lorsque nous cessons de bouger, remplir, ou vider? Et sommes-nous forcément moins présents si nous paraissons moins actifs? Tout dépend de la présence que nous avons. De la qualité de présence que nous déployons.
Ce qui fait le charme d’un objet en bois, pour moi, ce n’est ni la prouesse technique, ni la quantité de travail qu’il a fallu pour le fabriquer. Ce n’est pas non plus son originalité. Mais simplement sa façon d’être là avec nous, et de nous offrir une surface pour s’asseoir, manger, rêver. Peu m’importe la qualification de celui qui l’a réalisé : seule compte la manière dont il fait résonner l’espace autour de lui. Cette cuillère donne-t-elle envie de manger avec, et même de ne manger plus qu’avec ? A quoi me fait-elle penser ? Sur quoi ce banc m’invite-t-il réellement à m’asseoir : un morceau de forêt, un astéroïde, un souvenir d’église ? Si nous ne laissons pas sa part de vide à l’objet, nous ne le saurons jamais.