L’automne touche à sa fin et laisse peu à peu place à l’hiver… dans l’atelier, on commence à allumer le chauffage. Les poules viennent se réfugier et râler quand il pleut. Les copeaux s’entassent à côté des feuilles mortes charriées par le vent. A mesure que je rabote la planche de noyer qui m’occupe, celle-ci s’amincit et perd de la matière à chaque passage de la lame. Je me dis que parfois, enlever signifie créer. La création n’est pas forcément ajout de matière, épaississement, empilage… elle peut être l’inverse. Couper, limer, poncer : de l’arbre au résultat final, on y perd beaucoup. La mise en forme de l’objet se traduit alors par l’accumulation des chutes d’abord, puis des copeaux, et enfin des poussières. La structure fibreuse de l’arbre s’en trouve déstructurée, puis désagrégée, du plus grand au plus petit. On pourrait penser que l’objet final est lui aussi un « reste », au même titre que les autres morceaux de bois qui restent. La vie de ce reste-là, simplement, ne sera pas la même que celle des autres : tandis que la planche travaillée ira par exemple rejoindre la cuisine d’une maison, le copeau, lui, va d’abord servir de litière pour les poules. Puis de compost. Avant d’alimenter un autre cycle vital, celui des légumes qui poussent dans la terre.
Il existe, en physique, un principe appelé « principe d’entropie », qui décrit la manière dont l’énergie et l’organisation d’un système se dispersent et se défont au fil du temps. Par exemple, une casserole d’eau chaude se refroidit en rayonnant et dissipant autour d’elle des calories qui réchauffent l’air alentour, etc. De même, une façade en bois va, les années passant, griser, se déclouer, puis finir par tomber. A l’échelle de l’univers, tout ce qui est constitué et organisé, et qui contient de l’énergie, est ainsi amené, tôt ou tard, à se défaire et à refroidir… chaque étape de dissipation pouvant conduire, entretemps, à la création de quelque chose de nouveau. Un peu comme quand, en déstructurant le bois, le menuisier donne vie à un nouvel objet. Lui-même y disperse au passage une partie de son énergie : il s’échauffe, transpire malgré le froid, et parfois s’énerve après avoir fait une erreur. Energie qu’il devra reconstituer en dissipant d’autres sources d’énergie à leur tour : en mangeant un oeuf par exemple, et en le faisant cuire. Tiens, un courant d’air s’est engouffré dans l’atelier – j’éternue.