Travailler de ses mains, c’est apprendre la patience. Il n’y a pas de raccourcis. La matière résiste, et, même si on la transforme, elle ne se laisse pas faire ! Parmi tous les facteurs sur lesquels on cherche à agir quand on fabrique quelque chose, à partir d’une matière qui résiste, que ce soit un banc en bois ou un plat, il y a le temps. Mais le temps a quelque chose d’irréductible : on ne peut pas le comprimer au-delà d’un certain point. En ce qui concerne le travail du bois, cette durée s’accompagne également d’une répétition : par exemple, dernièrement, pour réaliser simplement les deux pieds d’une table basse, assemblés chacun en carré, j’ai compté pas loin d’une soixantaine de coupes à la scie… à quoi il faudrait rajouter encore les opérations liées au rabotage, au traçage, à la finition, elles aussi répétitives. A certains moments, on n’en voit pas le bout. La tentation est grande, alors, de se décourager, ou de compter : combien de temps encore? Mais il faut tenir bon, mettre ses oeillères, et enchaîner les coupes. Patienter. Prendre son mal en patience. « Patience », qui vient du latin patior, souffrir. En réalité, personne n’aime attendre. De l’enfance à la vieillesse, je crois – en tout cas je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire qu’il « aimait » attendre. Mais nous n’avons pas le choix… du moins, si nous voulons quelque chose. Celui qui ne désire rien, peut-être, n’attend rien. De là à dire qu’il ne s’attend à rien, pas sûr. Quand on construit un objet en bois, en tout cas, on attend l’objet, cet objet, celui-là et pas un autre : on l’attend car on ne l’a pas encore vu, et on l’attend car on a hâte de le voir.
Va-t-il ressembler à ce qu’on a imaginé, conçu? Va-t-il être différent? Va-t-il être raté? Va-t-il falloir le recommencer, le retoucher, le réparer? Il y a, à chaque fois, un étonnement à découvrir le résultat de son travail, et l’on a beau faire et refaire vingt fois le « même » objet, il y aura toujours une surprise (au moins) à la clé. Ce n’est pas exactement comme on s’y attendait, ni tout à fait ce à quoi on s’attendait. Et d’ailleurs, tant mieux, sinon, quel intérêt? Pourquoi faire quelque chose qu’on maîtriserait totalement, et qui ne nous réserverait aucune surprise, bonne ou mauvaise? Pour quoi faire, si « faire » ne s’accompagne pas d’un risque? En fin de compte, attendre, ce n’est peut-être pas juste rester assis dans son canapé : c’est aussi une manière de risquer.