Dans le Jura, où j’ai grandi, tous les vieux savent travailler le bois. Ils n’ont, pour la plupart, aucune formation, aucun diplôme en la matière, et ont tous appris « sur le tas ». Pourtant, je me souviens de cette table aux pieds sculptés, au plateau marqueté, on aurait dit qu’elle sortait de l’atelier d’un ébéniste. Ils ne sont pas « professionnels », mais ce ne sont pas des amateurs. Ce n’est pas un travail, mais c’est plus qu’un loisir. Souvent, ils ont vu leur père effectuer les mêmes gestes ; mais ce ne sont pas des gestes naturels, il leur a fallu les apprendre. En faisant. Les machines ont plusieurs décennies à leur compteur, elles sont là, dans un coin sombre de l’ancienne étable. Comme si elles avaient toujours été là. Je me souviens d’un de ces grand-pères, en particulier, qui vivait en bas de la rue. Nous allions le voir, enfants, avec mes amis, quand nous n’arrivions pas à bricoler ou réparer nous-mêmes un objet. Tous ses gestes étaient lents. On ne se hâte pas, dans le Jura. Jamais. Ses gestes étaient lents mais précis, efficaces. En réalité cette lenteur apparente lui faisait gagner du temps, et de l’énergie. Il ne fallait pas parler, alors on le regardait, alors on l’écoutait. On entendait son souffle lent et bruyant, qui donnait la pulsation. Il respirait comme ça, et, pendant qu’il réparait un objet, nous étions suspendus à l’alternance des inspirations et des expirations : allait-il y arriver?… On ne posait pas la question, de peur de troubler sa concentration, et de faire échouer le processus – presque par superstition. Il y arrivait toujours : car avec les vieux, si ça ne marche pas comme ça, ça marchera autrement. Ils trouvent la solution, pour peu qu’on les laisse penser, aux prises qu’ils sont avec la matière. Pendant que résonnait son souffle, nous, nous retenions le nôtre.
Newsletter n°8 – novembre 2021
Celui qui ne sait pas planter, plante en Novembre.